Le Diabolo - Citation :
- Michel PERRAUDIN, est diplômé de l'Ecole d'ingénieurs de Genève. Il enseigne actuellement l'aérotechnique en classes terminales de cette école et est responsable du laboratoire d'aérotechnique.
Ce dernier est équipé, entres autres, de plusieurs souffleries dont une possède une veine de mesures de 1,5 x 2 m2 et une autre qui atteint des nombres de Mach voisins de 3. De plus, des équipements variés permettent d'effectuer des mandats de développements au profit des entreprises.
Mentionnons également qu'il pratique le tir au pistolet dans le cadre des Exercices de l'Arquebuse et de la Navigation, "antique" société genevoise de tir, fondée en 1474 et comptant près de 3000 membres.
"Je propose d'apporter une touche originale à Tir-Info en ouvrant une rubrique dans laquelle nous examinerons certains aspects de la physique du tir. Je traiterai aussi bien de la balistique interne que de la balistique externe. Par contre, je n'aborderai pas la technique des armes ni celle du tir, domaines que nombre d'entre vous maîtrisent beaucoup mieux que moi. Je commence cette série par la présentation du diabolo, utilisé principalement dans les armes à air comprimé, mais peut-être mal connu.
Je souhaite également que ces pages soient le centre d'un échange; à savoir que vous me soumettiez vos questions portant sur les aspects scientifiques du tir tels que la balistique, qu'elle soit intérieure ou extérieure. De même, vos remarques, critiques ou suggestions sont les bienvenues. Adressez-les à la rédaction qui me les transmettra. J'y répondrai dans un prochain article.
Afin de rester accessible à tous, je serai amené à "commettre" quelques approximations. Je prie les puristes de ne pas m’en tenir rigueur. "
RappelOn appelle balistique (un seul l, car le mot ne vient pas de balle, qui est un projectile, mais de baliste qui est une antique catapulte) la science qui étudie le mouvement des projectiles. On distingue la balistique interne, qui porte sur le mouvement du projectile dans l'arme, et la balistique externe, qui cerne le mouvement du projectile dans l'atmosphère.
Le diaboloIl est constitué de deux cônes tronqués assemblés par leur sommet. Le cône arrière (jupe) est évidé afin d'avancer le centre de gravité de l'ensemble.
Le diabolo apparaît au 17ème siècle et ce, pour des raisons de stabilité. Sa conception est telle que son centre de gravité se trouve relativement en avant, alors que son centre de poussée (point d'application des forces aérodynamiques) se situe en arrière.
En effet, pour qu'un projectile soit aérodynamiquement stable sur sa trajectoire, il faut que son centre de gravité se trouve en avant de son centre de poussée. Ainsi, pour stabiliser une flèche, on avance son centre de gravité en mettant une masse à l'avant et on recule son centre de poussée en disposant un empennage à l'arrière. La jupe du diabolo assure à la fois la stabilité aérodynamique et l'étanchéité entre le projectile et le canon; elle permet également l’appui sur les rainures du canon qui impriment une rotation autour de l'axe longitudinal du projectile. Ce mouvement participe également à la stabilité.
Le calibre d'un diabolo se mesure au niveau de sa tête et peut être très varié. La jupe a un diamètre légèrement supérieur pour permettre, au moment où le projectile est forcé dans le canon, de s'adapter parfaitement à la géométrie de ce dernier et assurer une bonne étanchéité. Les diabolos utilisés avec les armes à air comprimé de compétition ont un calibre compris entre 4.47 et 5.41 mm (souvent 4.49). Ils sont en plomb et pèsent environ 0.5 g. A l'origine, les diabolos possédaient une tête pointue pour augmenter leur pouvoir de pénétration et leur portée. Cette géométrie se rencontre encore.
Cependant, les diabolos de compétition privilégient la découpe de la cible sur la stabilité et le pouvoir de pénétration. A cet effet, ils possèdent un avant plat doté d'une arête vive dont le but est de faciliter la coupe de la cible. Ils traversent cette dernière à la manière d'un emporte-pièce; la jupe améliore le contour de la découpe. Cette géométrie permet des impacts bien calibrés qui évitent, dans la mesure du possible (on y reviendra plus loin), toute erreur d'interprétation.
Il existe des versions plus belliqueuses du diabolo. Par exemple, un modèle possède une tête constituée de métal dur, alors que la jupe est en Téflon pour diminuer le frottement. Les essais réalisés montrent qu'un tel projectile, tiré avec une simple carabine à air comprimé, traverse une planche de bois de plusieurs centimètres. Quand on sait qu'il existe des armes à air comprimé de calibre 6 mm, on imagine l'efficacité et, certainement, le côté pervers de telles armes.
Les vitesses habituellement rencontrées par le diabolo se situent dans une large fourchette et vont du subsonique faible (environ 100 m/s soit 360 Km/heure) pour des pistolets de divertissement à près de 300 m/s (environ 1100 Km/heure) pour certaines carabines à air. Un diabolo tiré par un pistolet à air de compétition possède une vitesse voisine de 150 m/s (540 Km/h) et atteint environ 180 m/s avec une carabine. Avec les armes de chasse et pour des applications militaires particulières, on entre allègrement dans le domaine supersonique (plus de 340 m/s).
L’aérodynamique du diaboloOn ne trouve que peu de données sur l'aérodynamique du diabolo. Pour combler cette lacune, le laboratoire d'aérotechnique de l’Ecole d’Ingénieurs de Genève a récemment mené une campagne de mesures dans le domaine subsonique. Elle se poursuivra prochainement par une exploration du domaine supersonique.
NOMBRE
DE REYNOLD = VITESSE X LONGUEUR
CARACTÈRISTIQUES DU CORPS
En supersonique, l'écoulement autour du diabolo est stable; il n'en est pas de même en subsonique où, suivant les cas, un régime instationnaire perturbe fortement l’écoulement. Cette situation complique singulièrement les mesures aérodynamiques et a nécessité bien des tâtonnements avant de pouvoir disposer d’un dispositif de mesures fiable.
Tous les essais effectués avec des balances de soufflerie conventionnelles se sont soldés par des échecs, la fréquence propre des balances n'étant pas assez éloignée de la fréquence des oscillations aérodynamiques enregistrées. Nous avons finalement choisi un ancien modèle de balance, dit à fils, et avons réalisé un montage en V afin d'assurer la stabilité latérale du modèle.
Les essais ont été effectués dans une des souffleries du laboratoire qui autorise des vitesses de 80 m/s.
Pour des raisons de dimensions, les mesures ne pouvaient pas se faire avec un diabolo réel et il a fallu réaliser une maquette nettement plus conséquente. Cependant, pour que les essais soient représentatifs, il est nécessaire de respecter une relation entre la vitesse et la taille de l'engin réel et celles de la maquette. D'une manière plus scientifique, il faut que les nombres de Reynold de la maquette et du mobile réel soient identiques.
Coefficient de viscosité cinématiqueLe coefficient de viscosité cinématique mesure l'effet de la viscosité du fluide sur l'écoulement et dépend du fluide utilisé. Pour l'air, aux conditions habituelles, il vaut environ 0.000015.
Plus simplement, ceci signifie que, si la maquette est 10 fois plus grande que le projectile, il faut que la vitesse dans la soufflerie soit 10 fois plus faible. Pour des raisons pratiques, la maquette a été réalisée en bois et est 25 fois plus grande que le projectile; des vitesses dans la soufflerie de l'ordre de 10 m/s sont donc suffisantes.
En réalité, une telle différence d'échelle pose un problème de similitude quant aux effets de compressibilité. Nous ne nous y arrêterons pas.
Les résultats des mesuresPour qualifier l’aérodynamique d’un corps, on distingue principalement la traînée qui s’oppose au mouvement (c’est elle qui ralentit la vitesse de chute d’un parachute) et la portance qui lui est perpendiculaire (c’est la force qui permet aux avions de voler). Sur un corps symétrique, et c’est le cas du diabolo, il n’y a pas de portance. Nous ne nous occuperons donc que de la traînée. Pour exclure les effets d’échelle, de vitesse, de fluide et autres, on introduit des coefficients sans dimensions tels que les coefficients de traînée, de portance, etc. Ainsi pour la traînée Rx, on pose :
Rx = traînée
Cx = coefficient de traînée (tout le monde a entendu parler du Cx d’une voiture)
p = masse volumique du fluide (environ 1.2 Kg/m3 pour l’air aux conditions habituelles)
W = vitesse relative fluide - obstacle
S = surface de référence.
Les mesures faites montrent que, pour des vitesses de l’air dans la soufflerie comprises entre 5 et 11 m/s, soit une vitesse du diabolo réel de 125 à 275 m/s (450 à 990 Km/h), le Cx est pratiquement constant et vaut :
Cx = 0.995
soit à peu près le Cx d’un parachute ! mais, nous l’avons dit en début de rubrique, l’aérodynamique n’est pas le point fort du diabolo. Ainsi, à 150 m/s, la traînée d’un diabolo est de l’ordre de 0.2 Newton (env. 20 gr) soit 40 fois son poids ! A titre de comparaison, mentionnons les Cx pour quelques formes ou mobiles connus :
Plaque plane perpendiculaire à l’écoulement
1.22
Parachute env
1
Sphère
0.15 à 0.45
Voiture
0.3 à 0.5
Corps fuselé
0.04
Il faut noter que le Cx du diabolo varie peu s’il est mis à l’envers dans l’arme. Cette propriété est parfois "utilisée"; nous en reparlerons plus loin.
La jupe des diabolosElle est fragile ; cette caractéristique est d’autant plus marquée que les plombs sont légers. Il faut éviter que les projectiles s’entrechoquent dans les boîtes. A cet effet, il est conseillé de compléter le remplissage des boîtes par un peu de coton.
Le blasonnage ou tir sur chevaletOn appelle ainsi le tir avec une arme fixée à un point fixe. Il permet de juger la qualité d’une arme, d’un réglage ou d’une munition. Du fait des dimensions respectives de la zone du dix (11.5 et 0.5 mm), la dispersion naturelle des plombs est moins cruciale au pistolet qu’à la carabine. Elle provient, si on exclut les causes extérieures comme les mouvements d’air, à la fois du projectile et de l’arme. Pour autant qu’on utilise des plombs de qualité et une arme à canon rayé, la dispersion dépend peu du projectile utilisé et n’empêche pas de faire des dix ! Par exemple, pour un pistolet de compétition, à dix mètres, la dispersion des impacts peut atteindre 5 mm dans les cas extrêmes, elle ne dépasse en général guère 2 mm. Cependant, il est vrai que certaines armes dispersent plus que d’autres ; ceci provient d’une mauvaise reproductibilité du système d’alimentation, d’un canon sale, endommagé ou mal usiné, ou d’un frein de bouche mal adapté. Par contre, la vitesse initiale du plomb, donc sa trajectoire, dépend de deux facteurs liés au projectile : le forcement (force avec laquelle le plomb doit être engagé dans le canon) et la masse du plomb. Toutes choses égales, pour un pistolet, la vitesse sera d’environ 130 m/s si le plomb est lourd, elle avoisinera 150 m/s s’il est léger (diabolo "high speed"). A titre d’exemple, une différence de vitesse de 20 m/s entraîne une variation de hauteur de l’impact de l’ordre de 5 mm.
En conséquence, il faut éviter de changer de munition entre l’entraînement et un concours. Ainsi, s’il est vrai que les plombs issus d’un même lot ont des trajectoires sensiblement égales, les plombs issus de lots distincts peuvent avoir des trajectoires différentes, leur forme et leur masse variant au gré de l’usure des matrices. Dans la limite des chiffres mentionnés ci-dessus, il est préférable de faire toute la saison avec les plombs issus d’un même lot. Les plombs légers minimisent les effets des mouvements angulaires (coup de doigt), mais ils augmentent la réaction de l’arme et surtout, sont plus fragiles et demandent, en conséquence, le plus grand soin. Mentionnons que certains fabricants commercialisent des diabolos sous deux formes : pour le pistolet et pour la carabine. La différence porte sur le poids et est faible (de l’ordre de 6%). Ceci provient du fait que, sur le pistolet, la chambre contenant le gaz propulseur est plus petite, le canon est plus court et la pression moins forte, toutes causes limitant la vitesse du projectile (150 m/s contre 180 m/s pour la carabine).
La différence de poids tend à limiter cette différence qui reste très académique et, dans la pratique, on peut indifféremment utiliser les deux types de diabolos sur les deux armes.
La toxicité du plombBien que l’ISSF ne l’impose pas, les diabolos utilisés pour le tir sportif sont en plomb. Ce métal est particulièrement toxique. Il peut être absorbé par les voies respiratoires sous forme de fines particules de plomb ou de vapeur ; il adhère aux mains que l’on porte à la bouche. Une fois dans le corps, il s’élimine difficilement. Il provoque le saturnisme dont les premiers symptômes sont de violents maux de tête, des tremblements, une anémie, etc., voire une paralysie périphérique. Il est nécessaire de ne tirer que dans des locaux particulièrement bien aérés et de se laver les mains après chaque tir ou chaque manipulation de plomb. Ces recommandations sont encore plus impératives pour les personnes qui fabriquent leur munition !
L’énergie du projectileLa législation française relative aux armes définit 8 catégories d’armes selon leur utilisation. Suivant la catégorie à laquelle elle appartient, une arme peut être prohibée, ou être soumise à autorisation ou à déclaration. Les armes à gaz comprimé sont classées en catégorie 7 et sont soumises à déclaration si l’énergie du projectile est supérieure à 10 joules. Dès lors, comment calculer cette énergie ?
L’énergie cinétique d’un corps en mouvement se calcule par :La masse M du diabolo standard est d’environ 0.0005 Kg. On en déduit que l’énergie de 10 joules sera atteinte si la vitesse du projectile dépasse 200 m/s, ce qui est rarement le cas.
La triche
Il est évident qu’aucun tireur ne triche ... c’est pourquoi je ne saurais donner de mauvaises idées en relevant, au passage, que le diabolo ayant un Cx peu sensible à son sens de "marche", il aura une trajectoire assez semblable s’il est tiré tête en avant ou jupe en avant. Or, comme il a été dit plus haut, sa partie antérieure a été étudiée pour donner une forme d’impact précise. Cette propriété permet, par exemple, de repérer les coups doubles (deux projectiles ayant même point d’impact). En effet, une jauge introduite dans un impact simple présente une certaine résistance lorsqu’on la retire ; l’impact double, légèrement ovale, n’oppose pas cette résistance. Un diabolo placé "jupe en avant" ne découpera pas la cible proprement ; la jauge ne sera pas retenue et donnera l’impression d’un coup double.
Ainsi, il peut exister la tentation de tirer systématiquement le premier plomb à l’envers. Je vous laisse deviner la suite. Mais je l’ai dit, aucun tireur ne triche et on ne tire qu’un coup par cible...
Michel Perraudin
Source FFTir